Cécile Mathias, autrice en audiodescription
Ce témoignage a pour but de sensibiliser à l’accessibilité numérique, grâce à un retour d’expérience d’une autrice en audiodescription.
Pour permettre une compréhension plus fine du domaine.
Introduction
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Cécile Mathias.
Je suis autrice en audiodescription passionnée par l’écriture.
Je travaille à rendre le monde du cinéma et de la télévision plus inclusif.
Mon parcours est assez varié.
J’ai d’abord suivi des études littéraires puis des études de communication, obtenant un DESS en communication.
J’ai commencé ma carrière dans le service communication à la Fnac de Lyon, où j’organisais des rencontres avec des artistes et des auteurs.
En 2004, je suis devenue biographe indépendante.
Mon travail consistait principalement à écrire les vies des personnes ordinaires afin de laisser une trace pour leurs familles.
J’ai souvent travaillé sur des projets collectifs, comme :
- raconter l’histoire d’un quartier
- d’une commune en collaboration avec des associations
- des MJC (Maison des jeunes et de la culture)
- des centres sociaux
Ce travail impliquait la collecte de témoignages que je transformais en récits, en livres ou parfois en expositions.
En parallèle, j’ai animé des ateliers d’écriture pour adultes et enfants, parfois en groupes intergénérationnels.
J’anime toujours un atelier d’écriture depuis 15 ans avec le même groupe.
Quel est votre parcours professionnel ?
En 2017, je me suis formée à l’audiodescription après en avoir entendu parler par une cousine comédienne.
L’audiodescription m’a tout de suite intéressée grâce à mon amour pour le cinéma et l’écriture.
J’ai suivi une formation avec l’association En Aparté, qui a contribué à la rédaction de la Charte de l’audiodescription en 2008 (cette charte a été révisée en 2021).
L’audiodescription est un domaine où l’on peut se déclarer professionnel sans formation spécifique, ce qui a parfois conduit à des dérives de qualité.
La Charte de l’audiodescription a été mise en place pour établir des normes afin de garantir que les personnes non-voyantes puissent suivre les films dans de bonnes conditions.
Après ma formation avec En Aparté en 2017, j’ai rapidement commencé à travailler dans une société de sous-titrage et de doublage qui avait créé un département d’audiodescription. J’ai ainsi pu commencer à travailler sur des projets d’audiodescription dès 2018.
Vous pouvez retrouver plus d’information sur mon site internet : desmotspourvoir.com
Quelles autres formations avez-vous suivies ?
En plus de l’audiodescription, je me suis formée :
- au SME (sous-titrage pour sourds et malentendants)
- au FALC (facile à lire et à comprendre)
Bien que j’aie trouvé le SME très technique et moins créatif, ces compétences m’ont permis de diversifier mon offre en accessibilité.
Je travaille également sur des projets de transcription de textes littéraires en FALC, sur des créations de parcours de visite en FALC pour des musées et sur des transcriptions de documents administratifs en FALC.
Une pratique essentielle, mais méconnue
L’audiodescription est un domaine souvent relégué au second plan dans le processus de création audiovisuelle.
Beaucoup de réalisateurs ne savent même pas ce que c’est, et peu d’entre eux y portent un réel intérêt.
Pourtant, cette pratique est cruciale pour permettre aux personnes aveugles de profiter pleinement des œuvres culturelles.
Les projets
Quels types de projets réalisez-vous ?
Mon travail en audiodescription se concentre principalement sur la télévision, notamment pour France Télévisions, M6, et Arte.
Je travaille sur une variété de contenus :
- des films
- des téléfilms
- des séries
- des films d’animation
- des documentaires
Cette diversité rend mon métier très enrichissant.
Pouvez-vous nous parler de vos projets récents ?
Je viens de terminer l’audiodescription d’un film de science-fiction chinois de 3 heures intitulé Wandering Earth, qui était assez difficile à décrire.
À côté de cela, j’ai également travaillé sur un dessin animé pour enfants de 3 ans, Tchoupi.
Cela représente un grand écart, mais c’est justement ce qui rend ce travail intéressant et passionnant.
Que ce soit pour un film complexe ou un dessin animé, il s’agit toujours d’image animée et d’écriture, avec des techniques similaires, mais adaptées à chaque support.
Avez-vous travaillé sur des projets de spectacle vivant ?
J’ai eu peu d’opportunités dans ce domaine, mais cette année, j’ai réalisé l’audiodescription d’un opéra rock monté à Villeurbanne.
Le créateur du spectacle voulait qu’il soit totalement accessible.
J’ai donc travaillé à partir d’une captation du spectacle. Ensuite, l’audiodescription a été enregistrée par des comédiens puis diffusée en direct pendant la représentation.
En plus de l’audiodescription, il y avait un livret en FALC distribué à l’entrée et des sous-titres de traduction des paroles des chansons projetés derrière les musiciens.
Mon expérience en sous-titrage pour sourds et malentendants (SME) m’a aidée à compléter les sous-titres en notant les styles de musique et les bruits présents.
Ce projet était particulièrement gratifiant, car, pour une fois, j’ai eu un retour direct des spectateurs non-voyants présents, qui ont pu exprimer leur appréciation et leur immersion dans le spectacle.
Quels types de projets réalisez-vous pour les musées ?
Je travaille également avec plusieurs musées, comme :
- le Grand Palais
- le Louvre-Lens
- des musées régionaux, comme Valence et Lyon
Les projets varient entre des expositions temporaires et permanentes.
Pour les expositions temporaires, elles doivent rester suffisamment longtemps pour justifier la production de l’audiodescription.
Pour les expositions permanentes, je collabore avec l’équipe de médiation pour définir un parcours.
L’audiodescription pour les musées peut inclure des descriptions détaillées des œuvres d’art (peintures, sculptures, photos, installations) ainsi qu’une description du lieu lui-même, ce qui est souvent très intéressant.
Méthodologie et pratiques
En tant qu’autrice en audiodescription, mon travail commence par la description, base fondamentale apprise en formation.
L’objectif est de transmettre fidèlement le message du réalisateur sans interpréter.
Quelles sont les étapes de la prise de notes ?
Mon processus commence par une première vision complète du film où je prends de nombreuses notes.
Je note des éléments variés comme :
- Les noms des personnages
- Les lieux
- Les objets ou images significatives
- Les expressions ou formules pertinentes
Ces notes sont essentielles pour la suite du travail.
Comment décrivez-vous ?
L’audiodescription doit rester descriptive et non narrative. Nous ne devons pas raconter l’histoire à la place du film ou de l’œuvre, mais plutôt permettre à l’auditeur de percevoir la richesse du contenu visuel.
Il est essentiel de se glisser entre les dialogues sans empiéter sur eux, afin de donner l’expérience la plus complète possible au spectateur.
Parfois, des spectateurs voyants écoutent les audiodescriptions et remarquent des détails qu’ils auraient pu manquer.
La Charte de l’audiodescription et le Guide de l’audiodescription orientent nos pratiques pour garantir la qualité et l’efficacité de nos descriptions.
Pour certains films, notamment les films d’auteur ou ceux marqués par un style particulier (par exemple, le film « A bout de souffle », de la Nouvelle Vague), je me documente sur le réalisateur et l’œuvre.
La lecture de critiques m’aide à comprendre les intentions du réalisateur et ses récurrences stylistiques.
Comment maintenez-vous l’objectivité dans l’audiodescription ?
L’audiodescription doit rester descriptive sans interpréter les intentions du réalisateur.
Par exemple, pour le film « Sous le sable » de François Ozon, j’ai décrit les vêtements du personnage se fondant dans la végétation pour suggérer subtilement sa disparition.
Mes études de cinéma et entre autres la pratique de l’analyse de films me poussent à explorer les intentions des réalisateurs, mais travailler avec d’autres audiodescripteurs aide à maintenir un équilibre entre les indications d’intentions et les interprétations.
Décrivez-vous les plans des caméras ?
En audiodescription, il est essentiel de transmettre les intentions sans utiliser de termes techniques comme :
- gros plan
- plongé
- contre-plongée
- zoom
- travelling
L’objectif est de faire ressentir l’effet produit par le choix de mise en scène sans jamais évoquer la caméra ou l’image directement, car cela pourrait sortir le spectateur de l’histoire.
Par exemple, au lieu de dire « gros plan sur des mains, » on décrira les mains en détail, ce qui suggère que l’image se concentre uniquement sur elles.
Pour une contre-plongée, plutôt que de mentionner l’angle de la caméra, on pourrait dire que la personne « domine les autres » ou « surplombe la scène, » ce qui traduit visuellement l’effet de supériorité.
Lorsqu’une scène commence en gros plan puis s’éloigne, on peut décrire que les personnages « paraissent de plus en plus petits » ou que « leurs silhouettes disparaissent, » pour illustrer l’effet d’éloignement sans mentionner la caméra.
Ainsi, nous gardons le spectateur immergé dans le film, en lui permettant de ressentir les effets visuels à travers des descriptions immersives, sans le distraire par des références techniques.
Pouvez-vous parler du supplément culturel ?
Un autre aspect intéressant que nous avons appris est l’idée d’ajouter un « supplément culturel » quand c’est pertinent.
Par exemple, si un film montre un bâtiment spécifique, nous pouvons rechercher son nom et l’indiquer.
De même, s’il y a une œuvre d’art en gros plan, comme une sculpture ou un tableau, nous mentionnons son titre et l’artiste.
Comme pour les spectateurs voyants :
- certains ne s’intéresseront pas aux détails artistiques ou architecturaux,
- d’autres les trouveront intéressants, mais sans faire de lien avec le film,
- certains les apprécieront pleinement et comprendront leur pertinence.
En fournissant ces informations, nous offrons aux spectateurs non-voyants la même richesse d’expérience que celle des spectateurs voyants, leur permettant ainsi de tirer le meilleur parti du film.
Quels sont les principes clés de l’audiodescription pour une narration efficace ?
Il est essentiel de respecter les règles de l’audiodescription.
Cela nécessite non seulement de regarder l’image, mais aussi d’écouter le dialogue et/ou la voix off, car ils fournissent beaucoup d’informations.
Par exemple, si la voix off mentionne un avion survolant un lieu, et que l’image suivante montre cet avion, il est inutile de redire la même chose.
Une règle essentielle en audiodescription est de toujours commencer par situer le lieu de l’action, afin de donner un contexte clair aux spectateurs.
Il est crucial de ne pas répéter ce qui est déjà dit et de trouver le mot juste pour chaque situation.
De plus, le vocabulaire doit correspondre au style du film.
Par exemple, pour les films d’époque, nous utilisons un langage ancien et formel. Des recherches approfondies sont nécessaires pour utiliser des termes appropriés et précis. Si un terme spécifique est peu connu, mais pertinent, nous l’expliquons rapidement pour enrichir l’auditeur sans le perdre.
Pour des séries modernes ou destinées aux jeunes, nous pouvons utiliser un langage plus contemporain et familier.
Pour les films pour enfants, nous choisissons des mots simples et, si nécessaire, expliquons les termes complexes.
Décrivez-vous les émotions ?
Les expressions et les émotions sont décrites que si elles ne sont pas évidentes à partir du dialogue.
Par exemple, si quelqu’un pleure et qu’on l’entend, il n’est pas nécessaire de le préciser.
Nous nous concentrons sur ce qui n’est pas perceptible à l’oreille.
Les silences sont essentiels pour ne pas surcharger l’auditeur. Il ne faut pas chercher à remplir tous les moments de silence, car cela peut être épuisant.
Par exemple, si une scène montre quelqu’un debout face à l’océan la nuit, une fois cette situation décrite, il est préférable de laisser le silence pour que l’auditeur puisse vivre le même moment de contemplation que le spectateur voyant.
Ce travail demande une attention constante à de nombreux détails :
- bien analyser le film,
- repérer les éléments importants,
- être attentif au son.
C’est un équilibre délicat entre précision et concision, permettant à l’auditeur de vivre une expérience aussi proche que possible de celle des spectateurs voyants.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite améliorer ses compétences en audiodescription ?
Pour améliorer vos compétences en audiodescription, je recommande de consulter le guide de l’audiodescription, qui est une excellente référence.
Bien que les formations formelles de l’association « En Aparté » soient actuellement limitées, il est utile de se référer à la charte de l’audiodescription pour comprendre les règles de base.
Vous pouvez également me contacter pour des conseils spécifiques.
Méthode de Travail
Avez-vous déjà travaillé sur des audiodescriptions à la suite d’audits d’accessibilité de site web ?
Bien que je n’aie pas directement travaillé sur des audiodescriptions à la suite d’audits d’accessibilité pour des sites web, je peux vous donner quelques conseils sur l’intégration d’audiodescriptions, mais aussi pour la description détaillée d’image.
Pour les œuvres d’art ou les images fixes, la technique est similaire à celle utilisée pour les descriptions d’images dans l’audiodescription de films.
On divise l’image en partie (supérieure, inférieure) et on décrit d’abord ce qui est le plus visible, avant de passer à l’arrière-plan.
Il est important de ne pas être trop long, en se concentrant sur les détails pertinents tels que les couleurs ou les expressions sur un visage.
Pour les vidéos courtes comme des publicités, une approche efficace est d’ajouter un petit descriptif de ce qui se passe, intégrant des éléments comme les couleurs et le produit. Il est aussi possible d’utiliser l’audiodescription étendue, qui permet de mettre en pause la vidéo pour ajouter des descriptions nécessaires.
Cela peut être particulièrement utile pour des vidéos très courtes où le temps est limité.
Il est essentiel de fournir des informations concises, mais informatives, pour que les personnes non voyantes puissent comprendre le contenu sans que la vidéo ne devienne trop chargée.
Travaillez-vous avec les réalisateurs ?
Nous n’avons généralement pas de contact avec les réalisateurs ou scénaristes.
Nous travaillons avec des films fournis avec des Time codes, rarement avec les scénarios.
Combien de temps consacrez-vous à l’étude d’un film ?
Le temps de travail sur un film peut varier.
Pour les films d’auteur ou documentaires exigeants, une recherche approfondie est nécessaire.
En général, le délai est court, souvent 15 jours et dans le meilleur des cas 3 semaines.
L’analyse approfondie est limitée par le temps disponible. On regarde le film une fois avant de commencer la rédaction, mais on le visionne de nombreuses fois durant le processus d’écriture.
Quand on commence à travailler en audiodescription, il faut environ une heure pour décrire une minute de film. Avec l’expérience, ce temps peut être réduit.
Les films complexes peuvent demander plus de temps, tandis que les films plus simples ou avec beaucoup de dialogues nécessitent moins de temps.
Qui enregistre les audiodescriptions ?
En tant qu’autrice, j’ai la possibilité d’enregistrer moi-même mes textes, ce qui pourrait sembler logique puisqu’on connaît bien notre travail. Cependant, cela nécessite de se rendre à Paris, ce qui implique des frais.
De plus, cela ne m’intéresse pas vraiment, car je pense que c’est un métier de comédien.
Lors de notre formation, nous avons expérimenté l’enregistrement de nos audiodescriptions, et la différence entre les comédiennes présentes et nous, qui ne l’étions pas, était frappante.
L’audiodescription demande une certaine neutralité tout en évitant la monotonie, ce qui est très difficile à maîtriser sans formation de comédien.
J’ai aussi assisté à l’enregistrement d’un de mes textes à Paris. Il faut savoir que l’on n’enregistre pas le texte en continu, en laissant se dérouler le film. Au lieu de cela, on enregistre notre texte par segments, à chaque fois qu’il apparaît entre les dialogues exemple à 2 minutes 14 puis à 3 minutes 25, etc. Cela donne l’impression de travailler par petits bouts, ce qui peut être assez déconcertant.
Recevez-vous des retours de la part des personnes aveugles ?
Les relectures avec des non-voyants ne sont pas systématiques, mais peuvent être imposées par certaines chaînes.
Dans ce cas, nous faisons écouter notre travail à des consultants non-voyants.
Pour cela, nous organisons des séances en visioconférence où nous diffusons le film en direct tout en lisant l’audiodescription en temps réel.
Cela permet de couvrir l’intégralité du film et de recevoir des retours sur la fluidité et la cohérence de l’audiodescription sur toute la durée.
J’apprécie particulièrement cette méthode, car elle permet de tester et d’ajuster notre travail dans des conditions proches de celles de la diffusion finale.
Préférez-vous travailler en binôme ?
Je préfère travailler en binôme pour diviser le film, échanger des textes et proposer des corrections mutuelles.
Cela permet d’harmoniser les descriptions et de corriger les erreurs de perception.
Chaque binôme apporte des forces différentes, améliorant ainsi la qualité finale de l’audiodescription.
Par exemple, je suis attentive aux répétitions, ce qui peut ne pas être le cas de tous.
Avez-vous déjà été confronté à des films où il n’est pas possible de faire de l’audiodescription ?
Il arrive d’être confronté à des films où il y a beaucoup de dialogues, ce qui laisse peu de place pour l’audiodescription.
Si une scène commence rapidement et que nous n’avons pas le temps de parler, nous pouvons parfois anticiper en utilisant les silences précédents.
Par exemple, entre deux dialogues, nous pouvons introduire la scène suivante en utilisant ce moment de pause, même si cela signifie parler légèrement en avance.
Cela peut créer un léger décalage pour les spectateurs voyants, car notre description ne correspond pas toujours parfaitement au timing visuel.
Utilisez-vous un format spécifique pour écrire vos descriptions ?
Nous utilisons Word avec des Time codes pour écrire nos scripts.
Parfois, nous ajoutons le dernier mot d’un dialogue ou un son (comme « boom » ou « porte qui claque ») pour guider les comédiens pendant l’enregistrement et les aider à se repérer.
Nous pouvons également indiquer la vitesse de lecture souhaitée et noter la phonétique des noms étrangers.
Cette pratique contribue à éviter les erreurs lors des enregistrements.
Diffusion
Comment fonctionne la diffusion des audiodescriptions ?
Les chaînes commandent les audiodescriptions.
Il peut y avoir plusieurs audiodescriptions pour un même film si différentes chaînes en font la demande.
Par exemple, « La Grande Évasion » a eu deux descriptions faites par la même société, mais pour des chaînes différentes, car elles ne se vendent pas les audiodescriptions entre elles.
Depuis 2020, les nouveaux films français ont l’obligation d’avoir un sous titrage sourd et malentendant et une audiodescription.
Les enjeux de l’audiodescription dans la publicité
Lors de la création de publicités, il est parfois difficile de savoir si l’audiodescription doit être une simple note rapide ou une véritable description étendue.
Dans certains cas, un petit texte descriptif est suffisant, mais d’autres fois, une audiodescription étendue est nécessaire pour bien retranscrire le contenu visuel.
Malheureusement, contrairement aux films, l’audiodescription n’est pas obligatoire pour les publicités, ce qui laisse un vide important dans l’accessibilité.
Les défis du cinéma
En France, bien que tous les films doivent théoriquement être audiodécrits, la réalité est différente.
Seulement 36% des salles de cinéma sont équipées pour offrir cette option, ce qui restreint l’accès des personnes malvoyantes à ces films.
De plus, les séances accessibles sont souvent programmées à des horaires qui ne conviennent pas à tout le monde, ce qui complique encore leur expérience.
Les plateformes de streaming
Contrairement aux chaînes de télévision, les plateformes de streaming comme Netflix ou Disney+ ne sont pas soumises aux mêmes obligations en matière d’audiodescription.
Cela se traduit par une offre limitée et peu priorisée, souvent réalisée avec des voix de synthèse, ce qui impacte la qualité de l’expérience pour les utilisateurs.
Pouvez-vous nous parler des Marius de l’audiodescription ?
J’ai eu l’occasion d’être jurée aux Marius de l’audiodescription, une initiative qui existe depuis 2018.
C’est un peu comme les Césars, mais pour l’audiodescription.
Chaque année, les cinq films nominés aux Césars sont évalués pour déterminer la meilleure audiodescription.
Le jury est principalement composé de personnes non-voyantes, mais il y a aussi quelques voyants, comme moi. Cela fait deux ans que je fais partie du jury, et nous écoutons uniquement les pistes audio des films.
Cette expérience est très enrichissante, car elle permet de comprendre l’importance des règles de l’audiodescription. Ces règles peuvent sembler rigides, et on pourrait être tenté de les contourner, mais écouter uniquement l’audio d’un film montre à quel point ces règles sont essentielles.
Si le lieu n’est pas précisé au début, cela devient très déroutant. De même, mentionner le nom d’un personnage avant qu’il ne soit nommé dans le film peut donner l’impression qu’on a manqué quelque chose. Cela peut perturber l’immersion et rendre plus difficile le retour à l’histoire.
Cette expérience avec les Marius de l’audiodescription montre que ces règles ont été bien pensées et validées, car elles assurent une compréhension fluide et immersive pour les spectateurs.
Sensibilisation
Sensibiliser les réalisateurs
Un autre enjeu important est la sensibilisation des réalisateurs à l’audiodescription.
Beaucoup ignorent encore ce que cela implique, et ne voient pas l’importance de ce travail pour l’accessibilité de leur œuvre.
Cependant, des initiatives existent, comme le Marius de l’audiodescription, qui cherche à récompenser les réalisateurs engagés dans cette démarche.
Un oubli dans la formation initiale
Dans les formations en audiovisuel, il est surprenant de constater que l’audiodescription est rarement abordée.
Ceux qui ont étudié le cinéma il y a plusieurs années ont rarement été sensibilisés à cet outil.
À l’époque, l’audiodescription était presque inexistante en France, et même aujourd’hui, elle est souvent perçue comme la dernière étape de la post-production, rarement intégrée dans le processus créatif dès le début.
Pour certains, l’audiodescription a été découverte bien après les études, par un intérêt personnel pour l’accessibilité.
Cette prise de conscience tardive souligne un manque crucial de sensibilisation dans les formations. Malgré cette réalité, des signes de progrès commencent à apparaître.
Certaines formations universitaires intègrent désormais l’audiodescription sous des appellations comme « traduction audiovisuelle ».
Spécificités
La traduction dans différentes langues
L’audiodescription doit être réécrite, car les références culturelles et la longueur des phrases varient entre les langues.
Par exemple, nous travaillons sur des séries ou des films, où nous recevons une première vidéo en VO sans sous-titres, accompagnée du script. Nous avons notamment travaillé sur une série italienne appelée « Blanca », qui raconte l’histoire d’une consultante non-voyante de la police.
Nous avions les vidéos et les scripts en italien, que nous avons traduits nous-mêmes avec Reverso. La traduction n’était pas parfaite, mais suffisait pour suivre l’histoire et créer l’audiodescription en nous calant sur la VO.
Ensuite, nous recevons la VF, souvent quelques jours avant la date limite, et devons ajuster les descriptions, car le français peut être plus long ou plus court que l’italien.
Cela demande un travail supplémentaire de recalage, ce qui rend impossible une simple traduction de l’audiodescription.
Les personnages doivent-ils être décrits ?
Lorsqu’il s’agit de décrire un personnage en audiodescription, plusieurs questions se posent : jusqu’où aller dans la description, et quelles caractéristiques sont réellement pertinentes ?
Par exemple :
- la corpulence ou l’apparence physique
- le genre
- la couleur de peau
- etc.
La couleur de peau, par exemple, n’est pas systématiquement mentionnée. Si elle n’a pas d’impact sur l’intrigue, elle peut être omise.
Toutefois, dans certains cas, elle peut être pertinente, notamment si elle joue un rôle dans la dynamique narrative, comme lorsqu’un personnage est stigmatisé.
La décision de mentionner ou non une description physique est donc souvent contextuelle.
Un exemple concret de cette réflexion a eu lieu lors de l’adaptation de Germinal, où deux personnages secondaires, joués par un acteur noir et un acteur maghrébin, ont soulevé la question de l’anachronisme par rapport à l’époque.
Après discussion et recherches, il a été décidé de ne pas mentionner leurs couleurs de peau, pour ne pas insister sur un aspect qui n’était pas pertinent pour l’histoire, et pour respecter l’intention des réalisateurs de choisir les acteurs indépendamment de leur couleur de peau.
Faut-il mentionner les couleurs ?
Les couleurs sont souvent perçues comme non pertinentes pour des personnes aveugles de naissance, mais il est essentiel de les mentionner si elles portent une symbolique importante pour l’histoire.
Les couleurs sont enseignées depuis l’enfance et ont des significations culturelles et émotionnelles, comme le rouge pour la passion ou le feu.
Ainsi, les choix faits en audiodescription doivent toujours être réfléchis et contextualisés.
Conclusion
L’audiodescription reste un champ à développer, tant au niveau de la sensibilisation des professionnels que de l’équipement des lieux de diffusion.
Il est essentiel de continuer à travailler pour que chaque œuvre soit accessible à tous, sans exception, et que l’audiodescription devienne une norme plutôt qu’une option.
Il est également essentiel que toute la chaîne de fabrication d’une audiodescription, de l’écriture à l’enregistrement, soit faite par des humains afin de pouvoir bien analyser les œuvres pour en rendre toute leur finesse.
Article publié par
Élisa GrederConsultante experte en accessibilité numérique