À la découverte du chansigne avec Laëty, chansigneuse

Comment rendre la musique accessible aux personnes sourdes ? Et comment la langue des signes peut-elle devenir un art à part entière, au même titre que la danse ou le chant ?
Pour répondre à ces questions, nous avons eu le privilège d’assister à un atelier de Laëty, chansigneuse professionnelle.
Elle nous raconte son parcours, son métier, et ce que signifie vraiment « chanter avec les mains ».

Portrait de Laety, souriante en salopette noire et débardeur orange, chansigne sur un fond sombre en levant les deux index vers le haut.
Photographe Made by Mell

Qu’est-ce que le chansigne exactement ?

Le chansigne, ce n’est pas juste de la traduction en LSF (langue des signes).

C’est une discipline artistique à part entière, qui mêle langue des signes et musique.

La langue des signes ne vient pas « après » ou « à côté » de la chanson : elle joue avec la musique, elle en devient une autre voix, une autre matière.

Il y a deux grandes formes de chansigne.

Le chansigne de reprise

Je reprends une œuvre existante, je la traduis et je l’adapte à la LSF, en tenant compte du rythme, du style, de l’intention de l’artiste, et surtout, de la culture sourde.

Exemple en vidéo : Chansigne Laëty x Christophe Maé « Il est où le bonheur ».

Laëty x Christophe Maé « Il est où le bonheur ».
Ceci n’est pas un clip.

Il est où le bonheur, il est où?
Il est où?
Il est où le bonheur, il est où?
Il est où?

J’ai fait l’amour, j’ai fait la manche
J’attendais d’être heureux
J’ai fait des chansons, j’ai fait des enfants
J’ai fait au mieux
J’ai fait la gueule, j’ai fait semblant
On fait comme on peut
J’ai fait le con, c’est vrai, j’ai fait la fête, ouais
Je croyais être heureux, mais

Y a tous ces soirs sans potes
Quand personne sonne et ne vient
C’est dimanche soir, dans la flotte
Comme un con dans son bain
Essayant de le noyer, mais il flotte
Ce putain de chagrin
Alors, je me chante mes plus belles notes et
Ça ira mieux demain

Il est où le bonheur, il est où?
Il est où?
Il est où le bonheur, il est où?
Il est où?

Il est là le bonheur, il est là
Il est là
Il est là le bonheur, il est là
Il est là

J’ai fait la cour, j’ai fait mon cirque
J’attendais d’être heureux
J’ai fait le clown, c’est vrai et j’ai rien fait
Mais ça ne va pas mieux
J’ai fait du bien, j’ai fait des fautes
On fait comme on peut
J’ai fait des folies, j’ai pris des fous rires, ouais
Je croyais être heureux, mais

Y a tous ces soirs de Noël, où l’on sourit poliment
Pour protéger de la vie cruelle
Tous ces rires d’enfants
Et ces chaises vides qui nous rappellent
Ce que la vie nous prend
Alors, je me chante mes notes les plus belles
C’était mieux avant

Il est où le bonheur, il est où?
Il est où?
Il est où le bonheur, il est où?
Il est où?

Il est là le bonheur, il est là
Il est là
Il est là le bonheur, il est là!
Il est là

C’est une bougie, le bonheur
Ris pas trop fort d’ailleurs
Tu risques de l’éteindre
On l’veut le bonheur, oui, on l’veut
Tout le monde veut l’atteindre
Mais il fait pas de bruit, le bonheur, non, il fait pas de bruit
Non, il n’en fait pas
C’est con le bonheur, ouais, car c’est souvent après qu’on sait qu’il était là

Il est où le bonheur, il est où?
Il est où?
Il est où le bonheur, il est où?
Il est où?

Il est là le bonheur, il est là
Il est là
Il est là le bonheur, il est là, ouais
Il est là

Oh, mais, il est où le bonheur?
Il est où le bonheur?
Il est où?
Il est où?

Oh, mais, il est où le bonheur?
Mais il est là
Le bonheur, il est là, il est là
Et il est là
Le bonheur, il est là, il est là

Le chansigne de création

Je crée une œuvre originale, directement en LSF, en m’appuyant sur des compositions musicales ou sonores, et en imaginant un univers visuel et rythmique propre.

Exemple en vidéo : ODE A LA PASSION – Laëty Chansigne de création.

Laëty Chansigne Prod Staz.

Ode à la passion
Fruit d’ma tentation

Ode à la passion
Subtil parfum d’déraison
Fruit d’ma tentation

Une pensée d’amour
Pour tous les toujours

Pour tous ces détours
Pour ces rêves avoués au lever du jour

Désordre enflammé
Feu dans les tripes
Le cœur serré

Ces virages que je sais
Ne pas contrôler

De la part d’une grande amoureuse
Au cœur rempli de pics

Tu m’as pourtant rendue heureuse
Le temps d’une nuit atypique

Un big up
Une dédicace

J’pense à toi parfois
Et j’regarde
Le temps qui passe

Ode à la passion
Subtil parfum d’déraison
Fruit d’ma tentation

Du gangster des bois
Au tatoueur aux abois

J’me suis perdue plus d’une fois
Heureusement
Ils ne sont pas comme toi

La douceur d’un pinceau
La lumière d’un pir’anar

M’ont à nouveau
Fait penser DUO

Et puis…
J’me suis retrouvée en solo

J’me suis réparée
J’me suis blindée

Peut-être un peu trop
Dixit ce manouche d’appartement

Un circassien
Des temps modernes

Un tzigane
De festival

Que de beaux sourires !

Sous entendus
Tu dois partir ?
Tu peux pas tout me dire ?

Alors chacun reprend sa route
J’ai parfois des doutes

Mais j’peux pas jouer au chat et à la souris
Tous les soirs après minuit

Y a des combats
Qui commencent tôt le matin
Faut pas oublier d’être humain

Ode à la passion
Subtil parfum d’déraison
Fruit d’ma tentation

Dès qu’on me montre
De l’attention
J’me mets direct
En mode débile

Concept pourtant conscientisé
Que c’est pas utile

Tourbillons de réflexions
Des envies
Des splash

J’ai beau lutter
J’suis une passionnée

Une droguée à l’amour

Un simple regard
De beaux yeux couleurs troubadour
Et … J’tombe en amour

Souvent pourtant je fredonne
Le refrain de ton absence

Et … Seule
Face à ma conscience
Je danse

La louve
Prend ses distances

Une ode à la passion
Subtil parfum de ma déraison
Pour toujours fruit de ma tentation

Un hommage à vos sourires
L’étendard de mes soupirs

Comment avez-vous découvert la langue des signes, puis le chansigne ?

J’étais une adolescente très timide. Un jour, à la bibliothèque de mon village, j’ai cherché le mot « silence » et je suis tombée sur « Le Cri de la Mouette » d’Emmanuelle Laborit. Ce livre m’a bouleversée.

Dans mon village, il y avait une famille sourde : j’ai osé leur demander de m’apprendre. On a troqué des cours : je les aidais pour les devoirs, ils m’apprenaient la LSF.

J’ai ensuite découvert les « bars rencontres » du vendredi soir où des sourds se retrouvaient pour signer. C’était intimidant, mais aussi magnifique. J’ai commencé à fréquenter leur foyer, j’étais la seule entendante, et j’ai appris en vivant avec eux, en partageant leurs codes, leurs fêtes, leurs matchs de foot.

Et un soir, en boîte de nuit, un ami sourd m’a demandé pourquoi je ne dansais pas. Je lui ai répondu que je n’aimais pas la chanson. Il m’a dit : « Elle raconte quoi, cette chanson ? » Et là, j’ai compris ce que signifiait ne pas entendre les paroles. C’est ce moment qui m’a poussée à « mettre les paroles en signes ».

Comment passe-t-on de la langue des signes à un art de scène ?

Au début, c’était artisanal. On reprenait des chansons comme « Sous le vent » de Garou et Céline Dion, ou du Michael Jackson (parce que visuellement, ça marchait).

Petit à petit, on a commencé à faire des animations dans des foyers, puis des scènes.

Et un jour, j’ai voulu aller plus loin : travailler avec les artistes eux-mêmes, construire une vraie présence sur scène, pas juste une « interprète sur le côté ».

Deux artistes sur scène : une personne chante dans un micro, et Laety, en pleine interprétation en chansigne, saute énergiquement à ses côtés.
MOHICAN sur scène à Toulouse

J’ai collaboré avec le groupe Fumuj, dont le rappeur est aujourd’hui l’un des fondateurs de Chill Bump. J’ai également collaboré avec Djazafaz (hip-hop jazz), Mohican (électro chanson urbaine), Manivelswing (chanson française à l’orgue de barbarie), ou encore Claire Pénisson, chanteuse lyrique.

Chaque collaboration m’a permis d’explorer un style différent, d’inventer de nouveaux codes scéniques, et de faire du chansigne une véritable discipline artistique.

Comment se construit un morceau en chansigne ? Y a-t-il une « partition » pour les mains ?

Oui, j’ai mes partitions à moi : des codes écrits, des notes, des vidéos de référence.

Mais on n’a pas encore de système d’écriture standardisé pour la LSF.
Alors je filme, je note, je structure.

Mon processus de travail se fait en quatre étapes :

  1. Comprendre l’univers artistique : qui est l’artiste, de quoi parle-t-il, quel est le ton, le style ?
  2. Traduction ou création : si c’est une reprise, je travaille d’abord sans musique, pour traduire les paroles. Si c’est une création, je commence souvent par le refrain (c’est l’essence du morceau).
  3. Mise en rythme : je cherche la fluidité corporelle, je teste les signes pour voir s’ils « tiennent » sur la musique.
  4. Répétition : je répète jusqu’à connaître le morceau par cœur, comme un comédien ou un musicien.

Et l’aspect technique ?

Être chansigneuse, c’est aussi se confronter aux réalités matérielles : lumières mal réglées, temps de balances inexistants, réglages sonores inadaptés

Le visage est un outil principal en LSF. On a besoin d’un éclairage comme un chanteur a besoin d’un micro.

Quand elle est intégrée à une équipe artistique, elle peut travailler avec des techniciens lumière et son pour synchroniser le tout, rendre la musique visuelle.

Le corps comme instrument, l’émotion comme moteur

Pour moi, le chansigne, ce n’est pas juste signer avec les mains. C’est tout le corps qui parle : le visage, les épaules, la posture, le regard… Chaque détail compte. Chaque signe doit porter une émotion.

Je ne peux pas interpréter une chanson si je ne la vis pas moi-même. Tant que je n’ai pas ressenti pleinement ce que je dois transmettre, je ne suis pas prête à monter sur scène.

Laety, en plein chansigne, exprime intensément une émotion avec la bouche grande ouverte, les yeux plissés, le buste penché en arrière, les bras tendus et courbés, devant un mur de briques.
Photographe Made by Mell

Est-ce un métier reconnu aujourd’hui ?

Malheureusement, non. Aujourd’hui, être chansigneuse, c’est exercer un métier qui n’existe pas officiellement. Il n’y a pas de statut reconnu, pas de convention collective, pas de cadre de travail clair.

Je suis parfois engagée comme artiste, parfois comme interprète, parfois rien du tout. Et pourtant, ce que je fais, ce n’est pas “de la traduction” ou “de l’accessibilité”. C’est de la création artistique.

Adapter une chanson peut me prendre entre 20 et 30 heures de travail, selon sa complexité. Ce n’est pas une option qu’on colle à la fin. C’est une performance scénique à part entière.

Mais dans les faits, je me retrouve souvent avec une consigne du genre : « mets-toi là, mais ne bouge pas trop ». Le problème, c’est que mon corps est mon instrument. Si je ne peux pas bouger, je ne peux pas chanter.

Heureusement, les choses changent. Certains festivals s’ouvrent, des artistes me sollicitent en direct. Mais pour aller plus loin, il faudra qu’on reconnaisse officiellement que ce métier existe. Qu’il a une valeur. Et qu’il mérite qu’on lui construise un vrai espace artistique et professionnel.

L’accessibilité au spectacle

Pour moi, l’accessibilité ne commence pas sur scène. Elle commence bien avant. Il faut penser l’accessibilité comme un tout.

D’abord, il faut informer en amont : avec des vidéos en LSF, des annonces claires sur le style musical, et des sous-titres bien contrastés. Ce sont des détails qui changent tout, surtout quand on veut vraiment toucher un public sourd.

Ensuite, l’accueil du public sourd doit être digne. Ça veut dire avoir du personnel formé, sensibilisé, et si possible des personnes sourdes elles-mêmes dans l’équipe d’accueil. Une simple signalétique visuelle ou un petit mot en LSF à l’entrée, ça peut faire une vraie différence.

Et bien sûr, sur scène, l’interprétation doit être intégrée, pas reléguée sur le bord. Le public ne devrait jamais avoir à choisir entre « regarder son artiste préféré » et « comprendre ce qu’il dit ».

Quand un sourd doit choisir entre regarder le chanteur ou l’interprète, il perd toujours une partie du spectacle.

Est-ce que le chansigne est réservé à certaines musiques ? À certaines langues ?

Absolument pas. J’ai chansigné du rap, du lyrique, de la chanson française, du dub

J’ai même travaillé en langue des signes américaine pour des morceaux en anglais, et je me forme maintenant à la langue des signes internationale.

Chaque musique a sa propre rythmique, sa propre iconicité. Par exemple, un concert de rock ne se mime pas comme un concert d’opéra ou de reggae. J’essaie de faire passer ces codes visuels, même quand le public sourd ne connaît pas l’histoire de la musique.

Laety chansigne sur scène aux côtés d’un chanteur, une jambe levée et les mains sur la tête, entourée de musiciens.
MOHICAN. Photographe Nicolas Pehe

Quelle est votre définition du chansigne, aujourd’hui ?

C’est une création poétique, physique et visuelle.

C’est un art bilingue, biculturel, un pont entre deux mondes. Le chansigne n’est pas là pour « aider les sourds à comprendre », il est là pour faire vivre la musique autrement.

Quand je monte sur scène, je veux que les entendants et les sourds rient ou pleurent en même temps. Je veux partager une émotion, une énergie, une présence.

Une chanson ou un artiste que vous aimez particulièrement chansigner ?

J’ai adoré travailler sur Édith Piaf.
Ses textes sont puissants, c’est comme du rap : il y a du rythme, du sous-texte, de l’histoire.

Exemple en vidéo : Chansigne Laëty x Edith Piaf « La foule »

Laëty x Edith Piaf « La foule »
Ceci n’est pas un clip.

Je revois la ville en fête et en délire
Suffoquant sous le soleil et sous la joie
Et j’entends dans la musique les cris, les rires
Qui éclatent et rebondissent autour de moi

Et perdue parmi ces gens qui me bousculent
Étourdie, désemparée, je reste là
Quand soudain, je me retourne, il se recule
Et la foule vient me jeter entre ses bras

Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne, écrasés l’un contre l’autre
Nous ne formons qu’un seul corps
Et le flot sans effort nous pousse, enchaînés l’un et l’autre
Et nous laisse tous deux épanouis, enivrés et heureux

Entraînés par la foule qui s’élance
Et qui danse une folle farandole
Nos deux mains restent soudées
Et parfois soulevés, nos deux corps enlacés s’envolent
Et retombent tous deux épanouis, enivrés et heureux

Et la joie éclaboussée par son sourire
Me transperce et rejaillit au fond de moi
Mais soudain je pousse un cri parmi les rires
Quand la foule vient l’arracher d’entre mes bras

Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne, nous éloigne l’un de l’autre
Je lutte et je me débats
Mais le son de ma voix s’étouffe dans les rires des autres
Et je crie de douleur, de fureur et de rage et je pleure

Et traînée par la foule qui s’élance
Et qui danse une folle farandole
Je suis emportée au loin
Et je crispe mes poings, maudissant la foule qui me vole
L’homme qu’elle m’avait donné et que je n’ai jamais retrouvé

J’ai aussi adoré Demi Portion pour son humanité et son énergie scénique. En ce moment, j’écoute beaucoup de dub, ça me donne envie d’écrire.

Pour conclure

Avec passion, humour et sincérité, Laëty nous a fait découvrir un univers fascinant où la langue des signes devient art de scène.

Plus qu’un outil de communication, le chansigne est un langage émotionnel, corporel, collectif.

En tant qu’équipe engagée dans l’accessibilité, nous repartons de cet atelier avec une conviction renforcée.

Vous souhaitez apprendre le chansigne, organiser un atelier ou un concert chansigné ?
Laëty est joignable directement au +33 6 46 76 23 59 ou par email via laetysignmouv@gmail.com. Retrouvez-la aussi sur son site : www.laetysignmouv.com.

À découvrir : le livre de Laëty

Laëty a publié un livre « Sur les routes du Chansigne » mêlant texte, vidéos en langue des signes, audio et créations originales de chansigne.

Dans ce livre, vous trouverez :

  • Des créations inédites en chansigne,
  • Des QR codes pour accéder à des vidéos en LSF,
  • Une version audio enregistrée par Laëty elle-même,
  • Des pistes de réflexion sur l’accessibilité, la création, la transmission.

Plus d’infos sur : www.laetysignmouv.com.

2 commentaires

  1. Rachel , le

    Merci beaucoup pour cette belle découverte de cet artiste avec de belles illustrations qui apportent beaucoup de relief à cet art.

    1. Élisa Greder Autrice , le

      Merci Rachel pour le partage de votre ressenti, c’est un plaisir à lire. Laëty est en effet une chansigneuse de talent !

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